Les réseaux sociaux: nouvelle arme contre la fraude fiscale

Gaston Jèze, auteur en Droit administratif et en Sciences financière, définit l’impôt comme « une prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d’autorité à titre définitif et sans contrepartie en vue de la couverture des charges publiques. »

 

Le contrôle fiscal en France est un système d’organisation de la vie en société mais saviez-vous que ce système n’est pas né de manière spontanée ? Les mécanismes financiers se mettent en place pour des raisons déterminées. Notre fiscalité se construit de manière concomitante à la construction de l’organisation politique. La contribution est acceptée par les citoyens car les États construisent et développent des arguments qui permettent d’étayer leur légitimité politique. Le droit doit être un argument qui favorise l’installation d’un impôt c’est ainsi que va naître l’État de Droit qui sera l’argument suprême pour justifier auprès des citoyens le prélèvement fiscal.

Resituons tout ça historiquement !

Les impôts été établis en nature, en parts de récolte ou en travaux. Progressivement, chacun de ces impôts a été remplacé par une contribution en numéraire, ce qui est plus pratique pour l’autorité mais aussi le contribuable.

C’est à partir de l’Ancien Régime qu’en matière d’impôts, le contribuable est récriminé dans le cas où il ne s’en acquitte pas. Ensuite, à la Révolution française, le parlement prend le contrôle des impôts en détruisant tous les statuts et privilèges fiscaux et formalise cette prise de pouvoir dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à l’article 13 : « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Au XIXème siècle, les impôts évoluent peu et sont levés essentiellement sur le patrimoine, l’activité et les taxes directes lors des échanges de bien.

Ce n’est qu’en 1954 qu’on notera « l’innovation » du système fiscal français avec l’introduction progressive de la TVA et qui sera unanimement considérée comme la meilleure base pour alimenter les caisses de l’Union Européenne.

Aujourd’hui, le système fiscal français se retrouve controversé avec le développement de l’Union Européenne et la mondialisation. Cela mène à une concurrence fiscale accrue entre les pays et il donc est nécessaire de considérer les nouvelles possibilités d’évitement comme l’expatriation fiscale et la fraude fiscale. C’est pour cela que le système fiscal français, souvent critiqué comme archaïque se met aux réseaux sociaux, et sûrement pas pour les mêmes raisons qui nous poussent à nous y inscrire.

La chasse aux sorcières à l'ère des réseaux sociaux

Quand on est sur les réseaux sociaux, on a tous cette manie de nous espionner les uns et les autres. Figurez-vous que maintenant, les fiscs français le peuvent aussi !

En effet, la loi finances pour 2020 avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque car le Parlement avait validé un dispositif expérimental pour lutter contre la fraude ouvrant la voie à la surveillance de certains site web. Mi-février, le gouvernement détaille la façon dont les administrations fiscales concernées doivent procéder par le décret N°2021-148 précisent que l’article 154 de la loi n’autorise pas tout et le périmètre est relativement restreint. L’expérimentation vise non seulement les opérateurs plateformes numériques de mise en relations et leurs utilisateurs comme Le Bon Coin, Airbnb, BlablaCar ou les marketplaces de réseaux sociaux. L’article vise aussi tous les contenus publics et rendus volontairement accessibles par les utilisateurs afin que le dispositif ne soit pas trop intrusif et sa légalité contestable.

Ainsi, gare à ce que vous publiez sur vos réseaux sociaux ! Les autorités ne joueront pas la carte de la présence d’un Community Manager mais la carte des algorithmes conçus pour collecter et analyser les données pour déceler les écarts avec la loi ou la déclaration fiscale. Ce mécanisme s’appuiera selon le décret sur « des indicateurs qui ne sont pas à caractère personnel (…) des indications de dates et lieux, caractérisant les manquements et infractions recherchés ».

Les libertés publiques mises à mal?

Évidemment, les critiques se font entendre. N’est-ce pas une atteinte à la vie privée ? Une technique de voyeurisme de la part des autorités fiscales ? La CNIL avait également exprimé son inquiétude et les députés avaient dénoncé à l’époque que ces mesures étaient une atteinte aux libertés. Le Conseil Constitutionnel a de son côté jugé que le principe de traque fiscale numérique était recevable mais que le champ d’application des mesures devait être limité.

Plusieurs amendements ont été pris comme celui où les données qui ne sont pas couvertes par un mot de passe seront les seuls à être exploitées. L’administration sera tenue également d’effacer toutes les données récupérées au bout d’un certain délai. Malgré les mesures mises en place par le gouvernement pour ne pas enfreindre ce principe fondamental, le web devient bel et bien un mouchard pour vérifier si vous déclarez correctement vos impôts.

Est-ce efficace?

La mesure qui a été mise en place depuis peu de temps et il faudra sûrement prendre encore un peu de recul pour savoir si cette nouvelle manière de contrôler est efficace. Pour l’instant, la réponse semble être un oui car il s’agit d’une stratégie plus large de surveillance de la part du fisc. En effet, dans notre ère du tout connecté, nous aimons nous exposer sur les réseaux sociaux, et nous ne savons pas qui peut observer ce que nous décidons de rendre public.

Saviez-vous qu’aujourd’hui près d’un quart des contrôles fiscaux ont été réalisés par l’intelligence artificielle ? Le filet s’étend et l’étau se resserre, les réseaux sociaux n’ont plus de secret pour les fiscs français et la fraude fiscale deviendra à l’avenir plus que difficile.